Liseur d’Entrailles, Ouvreur de Routes… Guerrier Définitif
TILTING AXIS 5 :
Au-delà des Tendances : Décolonisation et Critique
d’Art
"Beyond Trends : Decolonisation and Art Criticisim"
"Beyond Trends : Decolonisation and Art Criticisim"
*** LES MOTS COMME ARMES
***
Mercredi 29 – 31mai 2019, MACTe
-
With : ARC Inc., Fresh Milk Art Platform Inc.
-
Directors : Holly Bynoe &
Annalee Davis
-
Core Partners : Res Artis, Perez Art Museum
Miami, National Gallery of the Cayman Islands, Art Galleries at Black
Studies
-
Associate Partners & Sponsors : MACTe
Liseur d’Entrailles, Ouvreur
de Routes… Guerrier Définitif
*
Jocelyn Valton
*
Jocelyn Valton
ÉCLATS SILEX
J'ai repris mon texte
comme un carquois de mots…
Je forge des mots épées de gladiateur
J'affute des mots couteaux de jet Kota...
J'ai repris mon texte
Je taille des mots-silex...
comme un carquois de mots…
Je forge des mots épées de gladiateur
J'affute des mots couteaux de jet Kota...
J'ai repris mon texte
Je taille des mots-silex...
Septembre 2016
Panel 1 - "Les mots comme armes" : Mario Caro, Dominique Brebion, Jocelyn Valton, Hrag Vartanian
- Je
conçois le critique
d’art comme quelqu’un qui veut partager des éléments de vision,
d’interprétation et de compréhension, non seulement des œuvres, mais aussi du contexte (politique, historique, culturel,
économique, idéologique…) dans lequel elles ont été crées. Pour le critique, il
s’agit donc de donner corps à un espace fait de textes, d’interviews, de
conférences, parfois d’expositions. C’est ainsi qu’il peut instaurer un dialogue
virtuel entre les œuvres, les artistes, les institutions qui exposent leur travail,
et lui-même.
Je
crois que ce qui m’intéresse, c’est dessiner un espace traversé par des lignes de tension
sensibles qui permettent à chacun, indépendamment de son lieu, son
statut ou sa qualité, d’avoir une trame lui permettant de reconsidérer le
monde. Donner la possibilité de le regarder avec un nouvel outil visuel, sans
s’arrêter au seul aspect formel. J’ajouterai même : sans se limiter à
l’art !
- La
décolonisation
peut se définir comme un processus essentiellement politique qu’auraient dû
connaître tous les pays autrefois soumis au régime colonial dans le cadre de l’expansion
européenne (soit durant la période esclavagiste, soit à partir du XIXème
siècle). En principe, elle aurait dû permettre la fin de la tutelle coloniale sous
quelque forme que ce soit et ouvrir à l’indépendance des pays colonisés. La
dimension politique ne saurait suffire, elle doit être accompagnée de la décolonisation
culturelle. Celle des colonisés bien sur, et, au risque de les étonner :
celle des colonisateurs, tout aussi aliénés sinon plus ! Je pose les
questions suivantes : Que dire de cette volonté de l’État français de
maintenir entre lui et nos petits pays un système de relations asymétriques et inéquitables qui produisent du ‘‘consentement
forcé’’ sous couvert de démocratie ? Si la colonisation est un
crime, que dire du refus de décoloniser ?
- La dimension
décoloniale de la critique d’art implique selon moi (pour
les anciens / actuels colonisés et anciens / actuels colonisateurs !), d’abord
la nécessaire prise de conscience des effets durables du colonialisme, du fait
que, même après une décolonisation sur papier, perdure un continuum colonial. La prise de
conscience d’une colonialité et d’un racisme structurels des institutions
françaises. Y compris bien sur, des institutions artistiques et culturelles
réputées progressistes, ‘‘ouvertes’’. En témoignent des faits de nature aussi diverse que :
L’eurocentrisme
des programmes de l’Éducation Nationale y compris pour les arts plastiques.
Ainsi, en 2017 mon exclusion du projet académique ‘‘Art des Caraïbes-Amériques’’ dont
j’étais l’initiateur (à la suite de mon article ‘‘Une École pour la République Archipel’’)
et qui avait pour objectif de produire une ressource pédagogique sur des œuvres
et artistes des Caraïbes. Une ressource dont je voulais qu’elle soit pensée et conçue
par des critiques, penseurs et enseignants guadeloupéens et caribéens. – En
France, la controverse autour de la pièce de théâtre Exhibit B. du Sud Africain Brett Bailey en 2014 (une évocation des zoos humains avec acteurs noirs
silencieux dans des cages, qui fera l’objet d’un boycott) – La non visibilité
des actrices et acteurs noirs (autrement que dans des rôles stéréotypés) dénoncée
dans l’ouvrage manifeste du collectif de 16 actrices noires : ‘‘Noire n’est pas
mon métier’’ 2018 ; Édit. du Seuil, (publié à la veille du
Festival de Cannes) – L’exposition controversée Le Modèle Noir de Géricault à Matisse
(musée d’Orsay, mars à juil. 2019), à laquelle il est reproché de ne faire aucune
place aux plasticiens des ‘‘Outre mer’’ français frappés eux-aussi de non
visibilité endémique – En Guadeloupe, ma démission du jury pour l’attribution du
1% artistique dans le cadre de la rénovation d’une ancienne demeure de colon esclavagiste,
la Maison
Chapp à Basse-Terre, en mai 2018. J’ai demandé en vain que l’appel
d’offre pour ce 1% soit destiné aux artistes des Caraïbes. J’apprendrai par la
suite que l’architecte Émile Romney
avait également démissionné de cette même opération du 1%, du fait que ses
préconisations n’étaient pas entendues. Cette liste n’est pas exhaustive.... Puisque
la colonialité n’est pas soluble dans le temps, il faut agir pour l’extirper
des institutions qu’elle parasite, institutions elles-mêmes créées à l’époque
du colonialisme flamboyant. La dimension décoloniale implique donc de proposer
des actions à mener pour déconstruire, démêler, désactiver les carcans
intellectuels, les verrous structurels, mis en place depuis des siècles par la
puissance impériale française et grâce auxquels elle maintient sa domination
jusque dans ce XXIème siècle.
Devons-nous
rappeler que la suppression du mot ‘‘race’’ de la constitution par les députés
français en 2018, n’effacera sans doute jamais la réalité du racisme ? Un
tel effacement ne renforce-t-il pas plutôt le déni d’une société française qui
vit dans l’illusion que le colonialisme appartient à un passé révolu, sans
incidences sur le présent, et avec lequel les Français d’aujourd’hui n’auraient
pas grand chose à voir ?
Nous
devons sans cesse nous rappeler que l’espace colonial (ici : la ‘‘colonie-départementalisée’’
de la Guadeloupe) est une machine qui n’a jamais été conçue pour l’épanouissement
des colonisés. Elle est conçue pour le
profit des cohortes de cadres blancs et tous ceux qui ne sont parfois rien dans
la ‘‘métropole’’ (pardonnez ce mot au parfum subalterne) et qui soudain
deviennent importants ici. Ceux qui parfois arrivent dans les Caraïbes avec
pour seule connaissance la lecture du Guide
du routard et qui se posent en spécialistes, dirigent des projets dont ils
s’approprient la paternité / maternité et écartent les autochtones qui
pourraient contrarier leurs ambitions.
Une
critique d’art ‘‘décoloniale’’ devrait chercher à produire une énergie
transformatrice à même d’ébranler, sinon de renverser le statuquo. Elle
devrait chercher à rendre visibles les rapports de force et de domination qui
traversent les domaines les plus insoupçonnés de nos sociétés héritières du
continuum colonial. Elle ne s’intéresse pas aux ‘‘artistes doudou’’ voulant
juste produire de jolis objets pour une classe d’individus ou d’institutions
dont la raison d’être est de pérenniser l’ordre établi.
Pour
penser le monde, deux outils me semblent essentiels : la culture et le langage.
La critique d’art étant un genre littéraire, les mots occupent donc pour moi, une
place importante. Ils peuvent être libérateurs mais ils se révèlent être une
prison terrible dans laquelle les colonisateurs nous ont cadenassés. Ainsi,
lorsque je parle et surtout lorsque j’écris, j’accorde une grande attention aux
mots qui articulent ma pensée. Il y a des mots que je plonge dans un
bannissement plus ou moins radical.
Voici quelques mots de mon
‘‘lexique décolonial’’ :
- Je
ne dis jamais ‘‘métropole’’ qui suppose un
rapport subalterne avec un centre éloigné servant de référence. J’utilise les
mots de la géographie. Je dis la France ou j’évoque ‘‘l’Hexagone’’ comme on
parle du Pentagone.
- Je
ne dis jamais ‘‘îles sœurs’’ pour évoquer la
Guadeloupe et la Martinique, ce qui serait admettre qu’elles sont deux enfants
ayant la France comme ‘‘maman’’. Un truc infantilisant ! Le 1er
février 2019, le président français E. Macron,
lors du ‘‘Grand débat’’ dans le cadre de la crise des ‘‘Gilets Jaunes’’,
s’adressait à une soixantaine d’élus des ‘‘Outre mer’’ réunis à l’Élysée :
«Non! Les enfants! C'est moi qui donne
le micro. Ce n'est pas une communauté autogérée. Je vous demande... de vous
asseoir»
- Je
limite l’emploi du mot ‘‘Antilles’’ un terme prisé des Français qui
évoque pour moi le jardin privé, domestiqué de la France, réduit à ses deux
colonies-départementalisées de Guadeloupe et Martinique. Je lui préfère
l’expression ‘‘Caraïbes-Amériques’’ qui
intègre une résonance et une spatialité plus ouvertes qui insiste sur la
diversité qui les caractérise (non seulement francophones, mais anglophones,
hispanophones, petites et grandes, insulaires et continentales…).
-
J’évitais de dire ‘‘Blancs’’ (versus Noirs),
pour ne pas reprendre une partition de l’humanité et une terminologie racistes.
Je préfère parler des Français, des ‘‘Occidentaux’’ (versus les ‘‘Afro-descendants’’,
‘‘Afro-Américains’’ ou ‘‘Afro-Caribéens’’). Aujourd’hui, je reconsidère cette
position et ne m’interdis plus au besoin de nommer les ‘‘Blancs’’ afin de ne
pas oblitérer la réalité du racisme et de la ‘‘race’’ comme construction
sociale. En ce sens toujours écrite avec des guillemets qui veulent dire qu’on
sait que ‘‘race’’ n’a pas de réalité scientifique.
- Je ne dis jamais ‘‘les
DOM’’ (Département d’Outre-mer) ou pire ‘‘les
Domiens’’ et pas plus ‘‘Outre-mer’’ ni
‘‘Ultramarin’’ pour parler de nous, les
dernières colonies de l’État français qui les a littéralement ‘‘avalées’’ en
les transformant en départements. Le but étant d’empêcher tout recours devant
les instances internationales (l’ONU)
dans le cadre du Droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes. Je nomme la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, je
mentionne dès que possible, l’île de la Réunion et désormais Mayotte, afin de
donner une image globale, complète de ces petits pays que domine l’État
français. Dans la même logique, je fais toujours précéder le nom Kanaky
de l’appellation française de la Nouvelle Calédonie.
-
J’évite d’employer le terme ‘‘esclaves’’ de
manière isolée pour évoquer nos ancêtres. Je préfère préciser et parler ‘‘d’Africains
réduits en esclavage’’. La première dénomination laisse entendre que nos
ancêtres auraient été des esclaves par nature, avant même l’arrivée des
esclavagistes. La seconde terminologie met en lumière le surgissement d’une
violence dirigée contre eux.
-
A mes élèves, je rappelle que ce qu’on dénomme généralement ‘‘histoire de l’art’’
désigne en réalité ‘‘l’histoire de l’art
occidental’’ de laquelle est évacuée l’histoire de l’art des peuples
extra-occidentaux, autrement dit ‘‘l’histoire…
occidentale de l’art’’ c’est-à-dire la vision occidentalo-centrée de cette
histoire faite d’exclusions.
-
Enfin, je ne dis jamais ‘‘local’’ qui
m’évoque une petite chose limitée, médiocre, folklorisée et dénuée de puissance,
dans laquelle on veut nous réduire. Je ne dis jamais ‘‘artistes
locaux’’. Je parle des Guadeloupéens et des artistes guadeloupéens, des
Afro-Caribéens et des artistes des Caraïbes-Amériques (ce qui ne limite pas aux
seuls États-Unis, mais ouvre sur toutes les Amériques).
Si
on veut considérer l’art comme l’expression la plus pure de la liberté (ce dont
on peut douter quand on y réfléchit bien), comment devons-nous regarder l’art
produit dans le contexte des colonies-départementalisées des ‘‘Antilles
françaises’’ ? Une question bien gênante, j’en conviens…
D’autre
part, nous ne devons pas sous-estimer la capacité de ce système colonial,
capitaliste et raciste à assimiler, digérer, recycler toutes les formes de
contestation, de résistance pour les récupérer / se les approprier, pour les
vider de leur substance et de leur potentiel subversif. En France, des artistes
plasticiens, des gens de théâtre ont créé des espaces de réflexion et de
partage. Je pense à La Colonie créée
par l’artiste Kader Attia depuis
octobre 2016 au 128 rue La Fayette Décoloniser les arts qui est à
l’origine de la publication de l’ouvrage collectif ‘‘Décolonisons Les Arts’’ - L’Arche, 2018. Paris ou au collectif
Mon expérience :
Si
je dois parler de mon expérience de critique d’art (qui débute en 1997 avec
l’article Fétiches
Brisés), et des stratégies que je déploie, je dirai que… pour que ‘‘je m’accommode de mon
mieux de cet avatar d’une version du paradis absurdement ratée - c’est bien pire
qu’un enfer -’’
dixit Césaire, il fallait choisir
entre : accepter d’être une sorte d’amuseur public contribuant à distraire
une petite élite d’amateurs d’art, et une seconde option qui me renvoyait à la
vision de Césaire. Un an après Fétiches Brisés, en 1998, lors de la
commémoration du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage
en Guadeloupe, je devais faire la critique sévère de l’exposition ‘‘Mémorielle 3’’
de Nicole Réache. Une exposition aux
accents racistes, au caractère révisionniste, portant le discours nostalgique des
‘‘békés’’ (la caste des descendants d’esclavagistes pratiquant l’endogamie au
service de l’exclusion et la jouissance de scandaleux privilèges). Un discours,
en réalité dirigé contre la commémoration, et relayé par 80 (!) personnalités de tous bords qui ont été
incapables de percevoir le caractère hautement toxique de l’exposition. Il
fallait donner réponse à la hauteur de l’attaque. Je dirai que cette exposition
révélait une ligne de fracture coloniale au cœur des arts plastiques. Je dirai
qu’elle m’a aussi permis de prendre la mesure des regards colonisés à déciller,
qui croyaient que ces représentations biaisées les honorait alors même qu’ils
recevaient les crachats du mépris.
Verser
dans une critique d’art formaliste, ergoter sur la forme, la couleur, ou la
beauté envisagée à travers le filtre occidental ne m’intéressait pas. Me défaire
de ce filtre, placer au centre l’art des Caraïbes-Amériques, ne pas céder à la
paresse intellectuelle de faire usage d’un prêt-à-penser occidentalo-centré. Aucun
intérêt à rajouter quelques malheureux écrits à tout ce qui débordait déjà des librairies
et bibliothèques à propos des artistes occidentaux dont la notoriété est
assurée. Il me semblait plus important de porter le regard sur le travail des
artistes des diasporas africaines dispersées dans nos régions. En 2013, afin
d’être libre de publier ce que je voulais, dans les termes exacts que j’avais
choisis, j’ai créé un Blog qui me permet de partager y compris des textes jugés
dérangeants menacés par la censure ! Ce fut le cas de : « Sortir
du piège de l'Histoire - La transgression par l'art » (texte non publié dans les actes du colloque Arts et transgression(s) déc. 2012,
CEREAP), sous la direction de Dominique Berthet, directeur de la revue Recherches
En Esthétique.
Dès
mes premiers articles, j’ai voulu sortir de ce cadre de références présenté par
le discours dominant comme ‘‘universel’’ alors qu’en réalité il est exclusif,
discriminatoire : les ‘‘maîtres’’ (blancs) et les ‘‘chefs d’œuvre’’ à admirer
dans les musées et à imiter dans les écoles ! Étayer ma pensée d’une autre
‘‘charpente’’ intellectuelle. Fétiches Brisés – Une longue éclipse des arts plastiques
dans les Caraïbes éclaire le contexte d’extrême violence, contexte
mortifère, qui a vu naître la création plastique dans les Caraïbes-Amériques.
J’appelle ce contexte d’émergence : ‘‘Le temps des Genèses Apocalyptiques’’. C’était le temps où, dans les Caraïbes
plantationnaires, les hommes et les femmes qui osaient créer des objets
plastiques (artéfacts à vocation cultuelle désignés ‘‘fétiches’’, ou comme le
R.P. Labat : « marmousets »
réputés hideux et diaboliques) en bravant les stricts interdits des
esclavagistes, le faisaient au risque de châtiments corporels, de mutilations
et jusqu’au péril de leur vie ! C’est dans ce chaos apocalyptique qu’a
germée la création plastique dans les Caraïbes-Amériques. Ainsi, et contrairement
à l’idée généralement admise de son apparition tardive, Fétiches Brisés situe cette création plastique au cœur de l’enfer
plantationnaire. Il rappelle la puissance de l’interdit qu’il a fallu violer
pour devenir artistes dans les Caraïbes.
Conscient
d’une domination totale : militaire, économique, technologique, religieuse et
culturelle, étayer sa pensée d’une nouvelle charpente intellectuelle. Les
mercenaires, les barbouzes opèrent aussi dans le champ de l’art et de la
culture avec les mêmes méthodes : spoliation / appropriation, destruction
/ effacement. Refuser de nous prosterner devant les icônes qu’on nous a trop
longtemps imposées. Choisir parmi les critiques, artistes, historiens,
sociologues, intellectuels, … qui construisent une pensée pour les Sud, et luttent
pour leur émancipation.
Parmi
eux :
Frantz
Fanon
(Aliénation du colonisé / Décolonisation) – Aimé Césaire (Définition du
colonialisme) – Édouard Glissant (Antillanité / extension de l’identité
diaspora africaine en Caraïbe – James Baldwin (Racisme & ségrégation aux USA) –
Edward W. Saïd
(Orientalisme / création de l’Autre par l’Occident) – Okwui Enwezor † (Yinka
Shonibare & J-M Basquiat) – Françoise Vergès (Extension de ma vision vers l’Océan
Indien / Vision plus complète du colonialisme français / Féminisme décolonial) –
Angela Davis
(Afro-féminisme) – Paul Gilroy (Double conscience) – Hommi Bhabha
(Post colonialisme) – Stuart Hall (Cultural studies) – bell hooks
(Afro féminisme) – (…)
L’art
n’est pas un Jardin d’Éden, l’art est un champ de bataille !
Art Is A Battleground /
L’art est un champ de bataille :
Refuser
de subir la seule circulation Nord-Sud
de la pensée dans le domaine des arts comme dans d’autres domaines. Nécessité de
créer une circulation du dialogue dans le sens Sud-Sud (les opprimés des Sud
entre eux) mais aussi imposer une circulation Sud-Nord (le Nord cette fois, en
position d’écoute !). D’où la nécessité, pour être en relation, d’avoir une
vision de la totalité de l’espace sous le contrôle de l’État français. Pas
seulement les ‘‘Antilles’’ françaises, mais la Guyane et, très loin de notre
zone géographique, la Réunion dans l’Océan Indien, Mayotte, mais aussi la
Kanaky / Nouvelle Calédonie auxquels il faudrait ajouter la Polynésie française
(…), tous ces pays aux prises avec la même puissance impériale française. Mais
aussi les pays anglophones et hispanophones du bassin des Caraïbes avec
lesquels la relation et la circulation de la pensée et les échanges artistiques
ne sont pas assez denses !
Les
enjeux politiques sont une des dimensions de l’art et de la culture. Je crois
que nous sommes fondés à le penser : L’art est un champ de bataille… Un champ de bataille au
milieu duquel je veux être un ‘‘guerrier
définitif ’’ !
‘‘Art is politic, art
critic must be politic…’’
Dans
une de ses fameuses performances, l’artiste Marina Abramovic répète
inlassablement : « Art is beautifull, Artist must be
beautifull ». J’affirme : L’art est politique, le critique d’art doit l’être aussi.
Par leur capacité à faire discours et à questionner les différentes formes du
pouvoir.
Je
reviens à cette question : peut-on parler de
‘‘liberté’’ s’agissant de l’art produit dans des pays traversés par un
continuum colonial ? Nous devons rappeler (en dépit des illusions) qu’il
n’y a pas eu de décolonisation (pas
d’indépendance) dans les Caraïbes françaises (Guadeloupe et Martinique), pas
plus en Guyane ou à la Réunion. Quand bien même le combat nous semblerait
inégal (moins de 400 000 Guadeloupéens
doivent tenir tête à une puissance nucléaire européenne de 66 millions d’habitants !), il s’agit de
déconstruire les stéréotypes, pétris de racisme et de colonialité de la pensée impériale
française qui imprègnent encore l’ensemble de ses institutions : l’école,
la culture, les institutions politiques et artistiques… qui, d’un côté,
continuent d’exclure les ‘‘Non-Blancs’’ des musées et centres d’art, des
galeries, du discours critique du système de l’art mainstream, et de l’autre, d’accorder des privilèges aux individus
de ‘‘race’’ blanche. Privilèges invisibles à leurs yeux (puisque selon eux, ‘‘blanc’’
n’est pas une couleur. C’est pourquoi ils parlent de nous en disant que nous
sommes des ‘‘gens de couleur’’). Privilèges
d’un système de l’art conçus pour eux par un ordre essentiellement raciste qui
regarde avec condescendance ce que peuvent produire les ‘‘Autres’’.
Décoloniser
l’art, c’est participer à produire une énergie
psychique en mesure de renverser les dictats de la pensée occidentale
comme norme esthétique ‘‘universelle’’, et trouver les moyens d’agir pour
provoquer des changements déterminants.
Au
mois d’avril dernier, ‘‘L’affaire Di Rosa’’
a défrayé la chronique du monde de l’art en France. Mame-Fatou Niang, maîtresse de conférence
franco-sénégalaise à
l'Université Carnegie-Mellon à Pittsburgh, était invitée par l’Assemblée
nationale à présenter son film ‘‘Les
Mariannes Noires’’. C’est à cette occasion qu’elle voit une fresque de
Hervé Di Rosa (peintre de la Figuration Libre des années 1980) qui
orne les murs de l’institution. Réalisée en 1991 dans le cadre d’une commande
publique pour la commémoration de la 1ère abolition de l’esclavage de
1794, la composition met en scène deux visages de Nègres, stéréotypés,
utilisant les ressorts emblématiques de la caricature raciste : noir cirage
pour la peau, yeux globuleux, lèvres rouges et épaisses. Universitaires,
Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau ont demandé le retrait de cette fresque à travers une
pétition publiée dans la presse. J’adhère sans réserves à cette exigence, aussi
ai-je relayé leur pétition et répondu sur les réseaux sociaux aux partisans de Di Rosa : notamment l’artiste Orlan, et Catherine Millet (fondatrice de la revue Art press)
qui a publié un article dans le Nouvel
Obs. Les arguments de C. Millet font
la démonstration de l’incapacité des milieux artistiques français à
appréhender, à travers l’art, les questions liées à la ‘‘race’’, à la
colonialité, pourtant au cœur de l’histoire de France. On peut ne pas être
raciste comme le clame Hervé Di Rosa
et pourtant véhiculer (malgré soi) des stéréotypes racistes, porter au fond de
soi des images, une manière de penser et de créer apprises depuis l’enfance et
véhiculées par toutes les structures d’une société qui n’a pas entrepris le travail de
décolonisation.
Fresque de H. Di Rosa à l'Assemblée Nationale (détail)
Je
cite Catherine Millet : « (...) grosses lèvres. C’est une forme
de caricature, et alors ? Il serait donc interdit de caricaturer des noirs ? ». Elle ajoute :
« Mais ce qui me choque le plus
dans ces accusations lancées contre Hervé c’est qu’elles sont le fait de
personnes qui ont justement la capacité de décoder une œuvre. Ces gens sont
d’une mauvaise foi totale. Ils mènent une entreprise fondée sur la
culpabilisation et rien d’autre. Ce sont eux qui font des caricatures. Ce sont
eux les racistes. »
Nous répondons :
Accuser les "autres" d’être de
"mauvaise foi" ne vaut pas démonstration. Par ailleurs, nous notons
que depuis que les descendants d'esclaves et les autres groupes de Français non-Blancs revendiquent pour la fin des discriminations de toutes sortes, la fin des
privilèges du groupe dominant blanc (y compris en art), les accusations de
"racisme anti-Blanc" se font entendre. Un rappel à l'histoire
s'impose alors : 1684, un médecin, François Bernier, publie un texte dans lequel il divise pour la 1ère
fois l'humanité en quatre groupes, quatre ‘‘races’’ : blanche, jaune, rouge et
noire. Hiérarchie qui sera reprise au milieu du XVIIIème siècle par
le savant suédois Linné.
Pour
clore mon propos, je voudrais évoquer le fait qu’on estime que 90 à 95 % du patrimoine artistique matériel africain
est aujourd’hui hors d’Afrique, dans les
musées, les universités, les grandes collections publiques et privées d’Europe
et des États-Unis. Un désastre culturel qui a pour conséquence de priver la
jeunesse africaine du lien direct avec les objets emblématique de sa culture, de
la possibilité de connaître, de voir, fréquenter et s’inspirer de ce patrimoine
ancestral dont elle ignore parfois jusqu’à l’existence, alors même que la
jeunesse privilégiée d’Europe, des États-Unis en tire profit depuis des siècles,
pour accroître son niveau de culture, pour se spécialiser en art et nourrir sa
création ...
Ainsi
69 000 objets africains au British Museum, 37 000 au Weltmuseum de Vienne, 180 000 au musée royal de l’Afrique à Tervuren en
Belgique, 75 000 au Humbolt Forum de Berlin, 70 000 au musée du quai Branly à Paris, pour ne
citer que ceux-là ! En Afrique, les musées nationaux qui ont de ‘‘grosses
collections’’ possèdent entre 3 000 et 5 000 pièces. Commencées depuis les indépendances,
les réclamations de restitutions de plus en plus pressantes des États
africains, sont de ce point de vue, un moment important dans une perspective
décoloniale. Je renvoie à l’ouvrage de l’universitaire sénégalais Felwine Sarr & Bénédicte Savoy : ‘‘Restituer le Patrimoine Africain’’,
fruit d’un rapport remis en novembre 2018 au Président de la république
française. Descendant d’Africains esclavagisés et déportés sur l’île de la Guadeloupe,
je me sens concerné par la restitution de ces objets silencieusement
magnifiques que nos ancêtres n’avaient plus la liberté de créer et qu’il nous a
fallu secrètement rêver pour les réinventer…
Reprenons le texte !
Taillons des mots-silex !
© Jocelyn
Valton, AICA, mai 2019
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