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7/14/2022

SUR LA ROUTE DES CHEFFERIES DU CAMEROUN

 

SUR LA ROUTE DES CHEFFERIES

DU CAMEROUN

-

Du Visible à l’Invisible

 


                                                                                                                    Masques-cagoules éléphant
 
 
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Alors que nos regards, conditionnés par une muséographie occidentale hégémonique, n’ont pas encore eu le temps de faire leur mue, les biens culturels et les œuvres d’art produits par les sociétés extra-occidentales, conservés depuis la période coloniale dans les collections publiques et privées d’Europe et des États-Unis, ont d’ores et déjà changé de statut.  

 

C’est en vaste cohorte, depuis l’immensité du continent africain, que des objets, par dizaines de milliers, souvent pillés, ont fait le voyage que l’on pensait sans retour, vers les vitrines muettes et glacées des musées occidentaux. Ces objets, fruits du génie des peuples colonisés, subalternisés durant plusieurs siècles, sont désormais réclamés par les cultures qui les ont produits. Après qu’ils aient, depuis le début du XXème siècle, nourri la créativité des artistes des avant-gardes occidentales, il est légitime que ces richesses culturelles en exil forcés, profitent enfin à la jeunesse du continent africain qui, hormis quelques privilégiés, n’y a toujours pas accès. 

 

C’est au prisme de cette exigence de rapports plus équitables entre reste du monde et puissances occidentales, que l’on peut aborder l’exposition ‘‘Sur la route des chefferies du Cameroun’’ qui s’est tenue à Paris, au Musée du Quai Branly. Et puisque l’Occident doit se tenir prêt à restituer les biens culturels spoliés lors de la colonisation, il faut bien que changent les regards portés sur ces derniers. Voici sans doute venue l’heure de moins ‘‘fétichiser’’ les objets anciens, de moins sacraliser les pièces rares, butins d’expéditions punitives ou pièces de collections prestigieuses d’artistes célèbres amateurs d’art ‘‘primitif’’. 

 

Le processus de restitution étant engagé, bien que timidement, il s’agit donc pour les musées occidentaux qui avaient monopolisé la parole sur des objets aseptisés, souvent décontextualisés, de concevoir des dispositifs d’exposition ‘‘inclusifs’’ afin de montrer autrement, regarder autre chose et différemment. Apprendre à entendre cette parole restituée de l’Autre, autrefois inaudible. Sur la Route des Chefferies du Cameroun ouvre un chemin conduisant le spectateur à être plus attentif et plus sensible au contexte d’émergence des artéfacts, ouvrant enfin la possibilité d'un véritable dialogue. Voulant permettre au public d’accéder aux modes de vie, à la spiritualité, aux rapports à la nature et au pouvoir, à la place essentielle des femmes, aux aspects immatériels des rapports à l’espace… Une occasion pour tenter d’échapper à la puissance formelle de certains objets anciens, canonisés par les regards occidentaux. Comprendre les liens qui unissent le monde des ancêtres et le monde des vivants. Voir comment le présent est irrigué par les veines de la tradition à travers les « cases patrimoniales » du programme Route des Chefferies. Loin des standards de la muséographie occidentale, ces cases renferment des objets qui sont autorisés à sortir de leurs lieux de conservation pour participer à des rituels ou à des cérémonies. D’autre part, certains objets cultuels actifs, donc en usage dans les chefferies, ont été prêtés au Musée du Quai Branly. Plusieurs ayant dû être ‘‘désactivés’’ par des initiés lors d’une cérémonie de ‘‘décharge’’, pour leur permettre de faire le voyage jusque dans l’Hexagone.

 

Faire, le temps d’une exposition parisienne, le voyage sensible du visible à l’invisible…

 

Bien que les objets (270), soient en nombre dans l’exposition, ils n’appartiennent pas à la catégorie des pièces rares ou prestigieuses précédemment évoquée. L’architecture traditionnelle et vernaculaire qui occupe une place importante dans les cultures Bamiléké et Bamoun n’est pas en reste. Elle prend des formes illustratives déroutantes à nos yeux, mettant à mal les innovations de l’architecture contemporaine. Le nouveau musée royal de Foumban, en forme de serpent à deux têtes surmonté d’une araignée, est à ce titre emblématique. Notons aussi que l’association la Route des Chefferies à l’initiative du projet d’exposition, en a également assuré le commissariat principal, autre signe des changements qui s’opèrent dans cette nouvelle forme de dialogue interculturel. C'est maintenant un classique, quelques artistes contemporains dont le travail est en prise avec les traditions, figurent dans l’exposition. Des crânes en bronze à la cire perdue d’Hervé Yamguen, des Venus perlées de Beya Gille Gacha, une installation totémique d’Hervé Youmbi, et des œuvres peintes de Franck Kemkeng Noah


Pour conclure notre propos, il faudrait revenir sur le titre de l’exposition qui ne donne pas une idée tout à fait exacte de son contenu. Le choix a été fait de centrer le propos sur les chefferies Bamiléké et Bamoun de la région circonscrite des hauts plateaux des Grassfields, dans le Nord-Ouest et l’Ouest du pays. Or le titre laissait penser que l’exposition serait une évocation plus générale, à l'échelle du pays tout entier, de la mosaïque des groupes ethniques camerounais (plus de 240 et autant de langues). S'inscrivant dans le prolongement du programme Route des Chefferies initié à Nantes en 2014 par un groupe de Camerounais de la diaspora, Sur la Route des Chefferies du Cameroun n’évoque pas l’art et les richesses patrimoniales Bassa, Fulbe, Bororo, Ewondo, Fang ou Béti pour ne citer que ceux-là

 

14 Juillet 2022, Jocelyn Valton,

AICA 

 


           

 

Tambours : nkak, (femelle) porté par des personnages                                    Ndop :  étoffe royale

cariatides et ntem (mâle) avec son fût cylindrique orné 

de motifs en forme d’araignées stylisées.

 

 

 

 

        Éléphant : Bois, cauris, perles – Chefferie Bafou