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4/13/2024

LA POOL ART FAIR, ON PEUT EN PARLER...

 

LA POOL ART FAIR, ON PEUT EN PARLER…

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Lors d'un vernissage d'exposition, l'artiste Thierry Alet vient me saluer et m’interpelle à propos d’un article partagé sur mon blog en décembre 2019 (!) soit un peu plus de 4 ans déjà.
https://jocelynvalton.blogspot.com/2019/05/1992-2018-guadeloupe-26-ans-dart-un.html

 

Il me fait grief de ne pas y avoir mentionné la foire (« Salon ») d’art qu’il organise depuis 2009, et qui selon ses propos, « est bien plus importante que tout ce dont j’ai pu parler dans ma chronologie de 26 ans d’art en Guadeloupe ». Évoquant mon article ‘‘Extractions culturelles en Caraïbes ou le syndrome d’Atahualpa’’, il me reproche ‘‘d’invisibiliser’’ la Pool Art Fair avant de se perdre parmi les invités du vernissage. 

 

En réalité, nombreux sont les artistes qui ont fait le choix, comme moi, de ne plus mettre les pieds à la Pool Art Fair et aux autres expositions organisées par T. Alet alors même que nous lui reconnaissons tous des qualités indéniables d’organisateur et qu’il y a peu d’opportunités pour exposer en Guadeloupe. Dans la vie comme dans l’art, que nous voulons voir comme son plus beau prolongement, j’attends de ceux qui veulent travailler avec moi, respect et loyauté. Or trop souvent, l’organisateur de la Pool Art Fair a cru pouvoir faire fi de cette exigence. Dès lors, j’ai mis un terme à mes collaborations.

 

Peut-on parler ‘‘d’invisibilisation’’ concernant la Pool Art Fair ? ‘‘26 ans d’art en Guadeloupe de 1992 à 2018’’ n’avait aucune prétention à l’exhaustivité. Il s’agissait d’une chronologie proposée aux auditeurs d’une communication faite au Lamentin dans le cadre du ‘‘Festival Bleu Outre-mer’’ organisé par l’artiste performeur Audrey Phibel. Cette esquisse du paysage artistique de l’île à travers une succession d’événements pour lesquels, de près ou de loin j’avais été partie prenante, était suivie d’un échange avec le public. Critique d’art indépendant, j’ai toujours choisi d’écrire (ou pas) avec une totale liberté. Publiant mes articles sur mon blog personnel ou sur Médiapart, souvent sans aucune commande ni la moindre rémunération. Telle est ma force. ‘‘Guerrier définitif’’ mais pas mercenaire, ceux qui choisissent de commander un de mes textes, payent afin de voir s’exprimer mon libre propos. Ils savent que j’envisage la critique d’art comme libre, partiale et politique. Devant faire sens au sein du corps social dans cet espace en tension entre Caraïbes-Amériques et Hexagone. Elle est l’expression d’un regard singulier (c’est mieux), d’un point de vue argumenté mais n’ayant aucune prétention à se poser en vérité universelle (se méfier toujours de ce mot dévoyé par l’Occident). Elle n’a d’utilité selon moi, que si elle peut permettre à d’autres de s’interroger et de tracer les contours de leur propre vision.

 

Rien de comparable avec le pillage de mon travail, l’extraction au profit d’autrui (personnes et institutions en Guadeloupe et en France), les mécanismes d’appropriation colonialiste de savoirs patiemment construits et une invisibilisation dont mon article cité plus haut, a voulu témoigner pour nous protéger tous de leur possible future reproduction.
https://blogs.mediapart.fr/279017/blog/230923/extractions-culturelles-en-caraibes-ou-le-syndrome-d-atahualpa 

 

La Pool Art Fair, 20 ans en 2024, s’est déroulée aux États-Unis, en Martinique avec l’artiste Habdaphaï et en Guadeloupe. C’est une manifestation qui bénéficie d’une visibilité et de soutiens institutionnels à l’image de ses prétentions internationales. Le moment ne serait-il pas plutôt venu que la Pool Art Fair, dont j’ai pu voir les premières éditions (du temps où les artistes étaient invités à transformer leur chambre d’hôtel en mini lieu d’exposition) fasse un bilan sans concession et se demande pourquoi tous les meilleurs plasticiens de Guadeloupe et de Martinique refusent d’y prendre part ? Pourquoi certains critiques d’art n’y viennent plus et n’en parlent pas et qu’elle doive pour remplir ses stands, présenter un mauvais mélange d’art et d’artisanat ?

 

Alors peut-être, ses organisateurs se rendront-ils à l’évidence que ce n’est pas de ‘‘visibilité’’ dont a le plus besoin la Pool Art Fair, ni de quelques lignes dans une esquisse chronologique sur le blog d’un critique d’art indépendant, mais que lui soient greffées deux qualités essentielles : respect (des artistes, des critiques d’art et de tous les autres acteurs de la scène artistique) et loyauté envers les mêmes. La Pool Art Fair pourra alors devenir un lieu de la relation bienveillante où les différents acteurs sentiront leur travail accueilli dans un cadre éthique  de sécurité matérielle et psychologique.

 

C’est à ce prix, à n’en pas douter, que nous pourrons créer de la beauté, briller depuis notre île et rendre nos vies plus belles et plus dignes.

 

 © Jocelyn Valton, AICA Sud Caraïbes, avril 2024