EXPOSITION ‘‘PROJET 57’’
« Pour que l’histoire ne se répète pas » (?)
Pavillon de la Ville, P-à-P
25 au 30 septembre 2017
Photo : J. Valton |
Après avoir fait plusieurs jours durant,
planer le mystère autour de la signification du titre ‘‘Projet57’’, une
exposition était annoncée en ces termes sur les réseaux sociaux et dans la
presse :
« Découvrez une magnifique exposition et un livre dédiés à Waren Errin, [un cycliste ayant tragiquement perdu la
vie sur la route]
regroupant 57 œuvres originales d'artistes de renom et 57 témoignages exclusifs
sur les accidents de la route en Guadeloupe et leurs conséquences.
57
... Plus jamais ça ! »
Au delà des bonnes intentions
affichées, il fallait regarder de plus près l’art convoqué pour l’occasion par
Laure Goblet, Directrice du musée dédié
au poète Saint-John Perse à Pointe-à-Pitre, et ne pas céder sans conditions aux
sirènes des médias qui égrainaient une liste de superlatifs pompeux :
« génial », « magnifique », « merveilleux
recueil », promettant « 57 chefs d’œuvre » !
En regardant la liste des 42 participants
à l’exposition, un nom devait attirer notre attention. Un nom dont on pouvait
légitimement se demander pourquoi et comment il avait été glissé au milieu de
cette liste d’artistes plasticiens. Fanny Le
Villain (présentée comme ‘‘chef de projet’’) et Laure Goblet, commissaire de l’exposition, en invitant Nicole Réache, entachaient le ‘‘Projet 57’’ de
la compromettante présence de celle qui, en 1998 lors du cent cinquantenaire de
la seconde abolition de l’esclavage, avait réalisé Mémorielles 3, exposition de peintures au propos révisionniste
(tant par les peintures que par les textes du catalogue). Madame Réache y
présentait les Habitations (plantations) esclavagistes comme de joyeuses
colonies de vacances : représentations d’esclaves souriants ou dansant
richement habillés, femmes esclaves dans des poses suggestives, colons
présentés comme bravant « tempêtes et naufrages pour que progresse la
civilisation », légitimité du cent cinquantenaire attaquée dans le
catalogue, … enfin public invité à, je cite : « savourer des moments de nostalgie » !
Tout cela sans que personne ne réagisse
!
Pour ajouter à l’énormité que
représentait l’outrageuse exposition Mémorielles
3, Nicole Réache avait obtenu une commande publique du Conseil Régional de
la Guadeloupe pour que sept panneaux peints de grandes dimensions dont elle
était l’auteure, soient le décor de l’hémicycle de cette institution ! Ainsi,
durant les diverses mandatures de Lucette Michaux-Chevry
et Victorin Lurel, les conseillers
régionaux siégeaient sans sourciller à l’ombre d’un ‘‘peintre’’ révisionniste.
En son temps j’avais dénoncé dans
plusieurs articles le contenu révisionniste de cette exposition qui avait
figure de riposte des descendants d’esclavagistes contre les manifestations en
l’honneur du cent cinquantenaire. Riposte réitérée lors de la création du MACTe
(Mémorial Acte) en mai 2015, avec l’érection à la Pointe Allègre - Sainte-Rose,
d’une stèle pour commémorer l’arrivée des premiers colons français en
Guadeloupe. Stèle qui sera détruite fin mars 2015, lors d’une action conduite
par des militants contre l’apologie du génocide des Amérindiens et les débuts
du crime esclavagiste et colonial.
Vingt ans après, alors que la réflexion
et le débat public se sont intensifiés en France, aux Caraïbes, aux Etats-Unis et
d’autres sociétés ayant connu l’esclavage, ici, la vigilance est encore de mise
à propos de ce médiocre simulacre d’art, de ses tenants et aboutissants. Il
faut rappeler qu’une exposition d’art est une machine à produire du sens par de
multiples ressorts. Machine plus complexe qu’un simple agrégat. Rappeler que
les espaces d’expositions fonctionnent comme espaces de légitimation. Des lieux
où le public est appelé à accueillir et à reconnaître les objets qui y sont présentés
comme œuvres, et, ceux qui les produisent, comme des artistes. Or, en novembre 2016,
s’ouvrait au MACTe l’exposition Echos
Imprévus, rassemblant des artistes de la Caraïbe (sous
le commissariat de Johanna Auguiac-Célénice et Tumelo Mosaka).
Parmi les œuvres de bonne facture de Bruno Pedurand,
Edouard Duval-Carrie, Marcel Pinas, Philippe Thomarel, Eddy Firmin-Ano,
Ricardo Ozier Lafontaine, Kelly Sinnapah Mary (…) s’était invitée, au
grand étonnement de tous, une ‘‘peinture’’ de Jean-Paul Fischer (exposant sous le pseudonyme de Kirl). Ce dernier étant connu non comme ‘‘artiste’’, mais comme ex
Directeur de la SEMSAMAR et actuel Directeur de la SEM patrimoniale de la
Région Guadeloupe dont dépend le MACTe.
En signe de protestation, l’artiste Joëlle Ferly réagira lors d’une performance en couvrant d’un vêtement
l’incongru tableau de J-P. Fischer. De même, Bruno Pédurand, participant à la table ronde que j’ai
animée, interpellera le public et interrogera Jacques Martial
(Président du MACTe) et l’équipe du commissariat de l’exposition à propos de ce choix.
Telle est la responsabilité des
organisateurs d’expositions d’art qui se fait plus grande encore lorsqu’ils
invitent de jeunes artistes. Samuel Gelas,
Ronald Cyrille ou Béliza Troupé, trop peu aguerris pour oser
indisposer les commissaires qui les sélectionnent, les responsables
d’institutions publiques, les sponsors et mécènes et imposer avec lucidité les
conditions de leur participation (pertinence du choix du lieu, du contexte, de
ceux avec qui ils exposent, … ) dans un contexte insulaire où les occasions
sont rares, où galeries et musées sont quasi inexistants. Un rapport de force en
principe différent pour des artistes plus expérimentés comme Joël Nankin, Jean-Marc Hunt, Alain Joséphine ou
Philippe Thomarel, tous participant
comme les plus jeunes cités, au ‘‘Projet 57’’. Responsabilité mais aussi
respect dû tant au travail des artistes qu’au public, car si l’art est une
grande entreprise à créer du faux grâce aux images, n’exige-t-il pas pourtant
des positions éthiques ? Une responsabilité partagée au final par ses différents
acteurs : commissaires et espaces d’exposition, institutions, sponsors ou
mécènes, artistes.
Le ‘‘Projet 57’’ au Pavillon de la Ville, offrait une
nouvelle virginité à Nicole Réache qui
poussait la poussière de ses peintures révisionnistes sous le tapis, exposant ‘‘comme
si de rien n’était’’ avec des plasticiens qui partageaient avec le public son
voisinage toxique. L’art peut-il être convoqué comme prétexte sans que l’on
prenne la pleine mesure de ce qu’il peut véhiculer : le meilleur comme le
pire… ‘‘pour que l’histoire ne se répète pas’’ ?
Jocelyn Valton, AICA – oct.
2017
Lire aussi sur mon blog mon article, communication à
un colloque, où sont évoqués les relations art et histoire aux Antilles
françaises et l’exposition problématique de N. Réache :
« Sortir du piège de l’histoire – La Transgression
par l’art » :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire