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11/10/2014

ICÔNES DES DEUX MONDES / Jocelyn Valton


icônesdesdeuxmondes
Texte de Jocelyn Valton


Bruno Pédurand
Exposition "Itinerrance", 2003
L'Artchipel, Scène Nationale Guadeloupe


                                                                                                                 © Photo : Jean-Philippe Breleur


Vanités, 2003-2008
Technique mixte, transfert et peinture / papier
60 x 50 cm chacun
(Série de 15)



C’est en véritable chasseur de « scalps » que Bruno Pédurand se livre aux captures d’images qui constituent les arrière-plans bruissants de ses dernières peintures. Avec leurs strates, leurs trames superposées, constituées à la fois de photos de magazines de mode, de textes à peine lisibles et parfois inversés, elles ont des airs de collages. Collages revisités par les manipulations qu'autorise la technologie des nouveaux medias.

Comme un « bruit de fond » ininterrompu sur lequel interviendrait l’artiste, ces arrières plans voient se télescoper photos glamour de mannequins, objets omniprésents de l’univers des grandes marques et produits de la mode devenus l’expression d’une conception du beau populaire. Icônes conçues pour alimenter des désirs de ''chiens de Pavlov" dans une société consumériste, icônes arrachées des pages glacées par Bruno Pédurand bien décidé à leur faire la peau. Et voilà que par-dessus ces pelures d’images profanes, viennent affleurer celles d’un autre monde.

Faisant irruption avec une incongruité convoquée, ces images de l’autre monde nous projettent dans l’univers du sacré des religions et des rituels afro-caribéens. Elles sont parfois auto-référencées et renvoient alors aux créations antérieures de l’artiste. C’est le cas d’un groupe d’œuvres qu'habite tout un bestiaire : des abeilles, présentes dans Chaman, une toile de 1998 ; des chiens, et le serpent évoquant la Genèse ainsi que la couleuvre arc-en-ciel dans les vévés[i] vaudous des lwa Dambala (St Patrick chassant les serpents d’Irlande) et Aida Wedo (L’Immaculée Conception). En Haïti ou à Cuba, pour faire vivre leurs croyances religieuses, les esclaves camouflaient leurs dieux interdits sous les apparences des saints catholiques. Adressant avec ferveur une prière à la Vierge Marie mère de Dieu, c’est Ezili, la prostituée à la beauté sensuelle, symbolisée par un vévé en forme de cœur qu’ils adoraient. « Culture du détour » pour reprendre un mot de l’écrivain Martiniquais Edouard Glissant. Lorsqu'on n’est pas le plus fort, … Ainsi, derrière une divinité paravent pouvait s'en cacher une autre. Dès la genèse de cet autre monde, les images on dû s’accommoder d’un statut complexe qui interdisait de se fier aux évidences du prime abord. Le rationalisme consumériste occidental se voit ainsi confronté à un pendant irrationnel, fait de magico-religieux, prolongement syncrétique de croyances éclaboussées d’Afrique dans ce qu’on a appelé le Nouveau Monde.

Dans le fracas de ces univers qui se croisent et s’entrechoquent, les images se superposent comme dans un grand collage virtuel. Ce travail qui prend en compte les différents types de collages de l’art moderne occidental, se nourrit aussi des pratiques populaires de la Caraïbe où les cloisons des cases de bois brut étaient tapissées d’images d’origines diverses, anachroniques. Pour faire décor. Portraits de stars de cinéma, portraits officiels d’hommes d’Etat et autres « grands de ce monde », de Gaulle et le Pape découpés dans Paris-Match, jouxtant le plus naturellement du monde les chromos du Christ, du Sacré cœur de Jésus, publicités et autres pin-up aguicheuses. A ces prélèvements d’images ready-made s’ajoutent des interventions qui renvoient à une pratique plus conventionnelle de la peinture et du dessin « à l’ancienne », dans une série de portraits de défunts ayant la charge d’un dispositif de rituel commémoratif. Une profondeur que l’on retrouve dans la série des « vanités » modernes, qui apparaissent comme décalées du terreau d’images superficielles dont elles se nourrissent.

Bruno Pédurand qui puise dans les magazines de mode, extirpant ce matériau de son contexte surfait, opère un maillage insolite avec des photos noir et blanc de la rubrique nécrologique du quotidien "local" France-Antilles. Ou bien encore par les juxtapositions ironiques et critiques du glamour clinquant avec les chromos religieux des cases antillaises ainsi protégées du mauvais sort, il adopte la posture d’un créateur ayant fait le choix de produire du lieu « excentré » où il se trouve, refusant de se laisser emprisonner par l’idée de la toute puissance ontologique des centres. Il affirme : « L’important, c’est la manière dont l’artiste arrive à prendre en compte la part et la charge du vécu. Quant aux questions de centres et de périphéries, elles concernent ceux qui ont des interrogations de pouvoir et de positionnement stratégiques. Mais si on parle d’une approche sincère de la création artistique, ces questions-là deviennent obsolètes. » La question qu’il pose au fond est peut-être bien de savoir comment exister au monde sans se perdre dans le bruit du monde.
                                                                                                   
© Jocelyn Valton, AICA 2003-2013






1 - Vévé : Figure géométrique, abstraite ou figurative, symbolisant une divinité du panthéon vaudou et tracée par le hougan (prêtre vaudou), sur le sol du péristyle lors des rituels.









Dessin tiré de Alfred Métraux : Le Vaudou Haïtien, Gallimard, 1958









Biographie :

en 1967, à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe. Etudes d'art à l'IRAV (Institut Régional d'Arts Visuels de la Martinique). Vit et travaille en Martinique où il enseigne l'art. Le travail du plasticien combine à la fois procédés traditionnels de la peinture, installations ou récupération d'images par transfert. Déplacées de leur contexte d'origine (revues de mode comme le magazine Marie-Claire ou le quotidien Frances-Antilles), les combinaisons parfois anachroniques qui en résultent sont porteuses des questionnements auxquels l'artiste convie le spectateur.



 

Expositions : 

Expositions personnelles : 2010 – Amnésia, galerie Olivier Robert, Paris | 2008 – Amnésia, Fondation Clément, Le François (Martinique) | 2004 - Projet Itinerrance, L'Artchipel, scène nationale de Guadeloupe | 2003 Projet Itinerrance, Centre culturel de Fonds Saint-Jacques, Sainte – Marie (Martinique) | 1997 - IWA , Temps de l'esprit, Casa de las Américas, La Havane (Cuba) | 1995 - Chemin - parcours, Centre Rémy Nainsouta, Pointe-à- Pitre (Guadeloupe) | 


Expositions collectives :  2012 Global Caribbean, Miami et Martinique | 2012 Who more sci – fi than us, Amersfoort, Hollande | 2011- Caraïbe en expansion, Fonds Saint-Jacques, Martinique | 2011 OMA à L’Orangerie, Paris | 2007 - Guadeloupe Nouvelle Vague , Galerie JM' Arts, rue Quincampoix, Paris (France) | Terres du Monde, Latitudes 2007, Hôtel de Ville de Paris | 2004 – Décalaj n°1, installation vidéo extraite du Projet Itinerrance, Biennale de Cuenca (Equateur) – Gospel & Racines , Cotonou (Bénin) | 2002 - Latitudes 2002, Hôtel de Ville de Paris | 2001 – Migration and the Caribean Diaspora, Orlando, Floride | 1999 – La Route de l'art sur la Route de l'esclave, exposition itinérante, L'Artchipel, scène nationale de Guadeloupe ; Camp de la Transportation, Saint-Laurent du Maroni (Guyane) | 1998 – Festival de peinture, Cagnes-sur-Mer (France), Grand prix du jury | 1996 – Biennale des Arts visuels, Musée d'Art moderne, (Rép. Dominicaine) | - L'Autre voyage, l'Afrique et la diaspora, Kunsthalle, Krems (Autriche) | 1995-94 – Un autre pays, escales africaines, Centre atlantique d'art moderne (CAAM), Las Palmas (Grande Canarie, Espagne) ; Musée Palau de la Virreina, Barcelone (Espagne) | 1992 – 1492-1992, Un autre regard sur la Caraïbe, Espace Carpaux, Paris - Biennale de peinture de la Caraïbe et d'Amérique Centrale, Musée d'Art moderne, (Rép.Dominicaine) |




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